Changer de bocal pour
Changer la société

 

Pensée, conscience, savoir, intelligence.

 

7 - Intelligence humaine, animale, artificielle

 

 

 

Par Anicet Le Marre

7 - L'intelligence: une organisation particulière de la pensée.

L'intelligence consiste à savoir donner à des problèmes de tous ordres, une réponse adaptée. Les solutions intelligentes se distinguent radicalement des solutions obtenues par tâtonnement aveugle, par instinct ou par habitude.
Dictionnaire Hachette - 1977.

 

On dit souvent (entre humains) que l'intelligence est le propre de l'Homme. Mais il aurait pu que cela ne fût pas ainsi. L'intelligence, comme la conscience, - tout comme l'Homme lui-même - est le fruit de l'évolution et de la complexification. Si les circonstances avaient été différentes pendant le cours de cette évolution, un autre être vivant aurait pu, aujourd'hui, occuper la place de l'Homme. L'intelligence aurait pu néanmoins se développer au sein de cet être autre. Par exemple, si les circonstances n'avaient pas éliminé les dinosaures, ils seraient probablement aujourd'hui dinosaures intelligents à la place d' "Homo sapiens".

Je voudrais commencer par lever une ambiguïté. Il s'agit de la confusion qui naît de l'utilisation d'un seul mot "intelligence" pour désigner, à la fois, une capacité intellectuelle et un niveau d'évolution, ce dernier étant la conséquence de la complexification des structures au fil des millénaires.

Ce que, dans notre civilisation, on nomme "intelligence" est avant tout une sorte de "savoir", ou plutôt des savoirs qui impliquent automatiquement une hiérarchisation. D'ailleurs, le dictionnaire cité ci-avant poursuit sa définition de l'intelligence par ces précisions: "Dans l'ordre de complexité croissante, on distinguera une intelligence animale, une intelligence pratique, une intelligence technique, une intelligence conceptuelle, verbale et logique".

Etre intelligent, dans notre civilisation, et dans le langage populaire, consiste avant tout à "savoir se comporter" dans le but d'accéder aux valeurs les plus prisées de ladite civilisation et ainsi se positionner hiérarchiquement. Etre intelligent, pour un enfant, c'est comprendre et assimiler plus vite que les autres, les enseignements scolaires. Etre intelligent, pour un adulte , c'est tirer, mieux que la moyenne des adultes, son épingle du jeu de la vie économique et sociale. Etre intelligent c'est se situer au-dessus des autres, par débrouillardise, en prenant comme repères les valeurs sociales créées par notre civilisation.

Mais le processus de complexification, inhérent à l'évolution, ne connaît évidemment pas les critères sociaux d'une civilisation donnée. L'Evolution se contente de produire, par le jeu du hasard des mutations, la naissance d'êtres vivants les plus divers. De cette diversité ne subsistent que les plus aptes à s'accommoder aux conditions du moment. Ceux qui sont les plus aptes s'avèrent aussi être les plus complexes du point de vue de leur structure. Ce qui veut dire que, du point de vue de l'Evolution, l'intelligence est en rapport avec un certain degré de complexification de la structure humaine, plutôt qu'avec les valeurs sociales que les sociétés humaines érigent pour les besoins de leurs projets internes.

Ces besoins internes peuvent être qualifiés d'instantanés, alors qu'un accroissement significatif de l'intelligence, c'est-à-dire un accroissement de la complexification prendra plusieurs millions d'années.

Par ailleurs, l'intelligence prise au sens commun est une caractéristique individuelle, qui distingue précisément l'individu des autres individus, alors que l'intelligence prise dans son sens évolutif est une notion collective qui s'applique au moins à une espèce toute entière.

Lorsque nous avons essayé de décortiquer ce qu'est, et comment fonctionne la mémoire, nous nous sommes rendu compte de plusieurs points importants. La mémoire, pour exister, prend appui sur un certain nombre de réactions biochimiques qui se produisent le long du réseau nerveux. La mémoire a donc une base matérielle, un support biologique et chimique. En second lieu, et au moment de notre naissance, la mémoire n'existe que sous forme de code génétique engrammé dans nos chromosomes pour nous donner une sorte de mode d'emploi minimum, indispensable pour notre survie. Notre mémoire "vive" se construit progressivement au cours de notre développement, s'enrichissant petit à petit de nouvelles expériences, de nouvelles connaissances, de mots qui deviendront notre langage, d'émotions et de sentiments.

Dès lors que cette mémoire est constituée, et continue à s'enrichir, se pose la question: "une mémoire pour quoi faire?" Tout le savoir stocké dans cette mémoire ne servirait à rien si nous ne l'utilisions pas à autre chose qu'un stockage. Il ne serait qu'une sorte de dictionnaire, une sorte de savoir en conserve, un ensilage inerte. Heureusement pour l'Homme, le développement de son cerveau associatif, va lui permettre d'utiliser les données stockées en mémoire, pour construire des choses nouvelles, des choses personnelles, pour élaborer des idées, pour inventer et créer du neuf, pour inventer des outils et réduire la fatigue nécessaire à sa subsistance, pour imaginer demain à partir de ce qu'il connaît d'hier, pour anticiper le futur. Cette capacité se nomme intelligence.

Quelle est sa nature? Peut-elle se mesurer par une somme de savoirs? Est-elle liée à l'instruction? Qu'est-ce que l'instruction sinon une somme de conditionnements? Voilà un certain nombre de questions qui se posent lorsque l'on aborde l'intelligence, chose abstraite dont chacun se croit mieux pourvu que son voisin, mais qui reste bien mystérieuse par le fait même qu'elle soit immatérielle et soumise aux jugements d'autrui. L'intelligence n'est pas un phénomène concret avec des contours précis, mais plutôt un concept qui permet de donner corps à la pensée élémentaire morcelée et dispersée, un outil en quelque sorte qui permet à l'Homme de construire un projet (qui appartient donc au futur) à partir des éléments, disponibles dans le présent ou dans le passé, et stockés en mémoire.

L'une des conséquences de l'intelligence se traduit, dans l'espèce humaine, par la transformation du savoir en savoir-faire. Ce savoir-faire va notamment se matérialiser dans la construction des outils qui permettent à l'Homme de faire plus, plus vite, plus efficacement, plus facilement toutes les tâches qui sont nécessaires à sa survie: protection contre les intempéries et les agressions, chasse, ainsi que toutes les tâches liées à l'alimentation.

Les chercheurs peuvent dater et ordonner les différentes périodes de l'évolution en examinant l'évolution des outils comme étant le reflet de la "quantité d'intelligence" que ceux-ci contiennent. On parle de l'âge du silex taillé, puis de l'âge de la pierre polie, de l'âge du fer, du bronze, comme des étapes successives du développement de l'intelligence. Notre époque contemporaine a remplacé l'énergie animale et humaine par l'énergie électrique d'origine hydraulique, puis nucléaire, la mécanique par l'électronique. Aujourd'hui, une des manifestations de l'intelligence est la capacité à faire usage du savoir que d'autres hommes intelligents ont mis en mémoire dans les livres, dans des machines sophistiquées, dans des automates et des ordinateurs.

L'intelligence n'est pas seulement la capacité à transformer le savoir en savoir-faire. Elle est aussi la capacité à construire un "savoir-plus" à partir d'un "savoir-simple", en utilisant des méthodes dont la principale est la logique. Pour illustrer cette idée, prenons un exemple simple, emprunté à la vie de tous les jours: Il vous est arrivé, comme à moi, de recevoir des invités à dîner et d'avoir à dresser une table et à mettre le couvert. Il vous est arrivé, comme à moi, de vous demander de quel côté de l'assiette on doit mettre le couteau, la cuillère et la fourchette. Pour s'en rappeler il existe au moins deux méthodes. La première consiste à l'apprendre par cœur, à le répéter pour bien le mémoriser, puis, le moment venu, à utiliser notre apprentissage en faisant appel à notre mémoire. Et bien souvent, malgré cet apprentissage, et à défaut de le pratiquer quotidiennement, on ne sen rappelle plus… Une deuxième façon consiste à l'apprendre d'une façon logique. Le moment venu, si la mémoire est défaillante, la logique permet de reconstituer le bon emplacement pour chaque chose. Cette logique consiste à observer que, dans notre société occidentale en tous cas, la cuillère est faite pour manger le potage, lequel se sert en général avant le reste du repas. Par ailleurs, la majorité d'entre nous sommes droitiers et nous mangeons le potage de la main droite. La cuillère doit donc se placer à droite de l'assiette et c'est même l'outil placé le plus à droite, c'est à dire le premier dont nous aurons l'usage dans le déroulement du repas. Nous nous servons d'un couteau et d'une fourchette pour manger, par exemple, de la viande,. Dans ce cas nous tenons notre couteau de la main droite et notre fourchette de la main gauche. En toute logique, le couteau se place donc à droite de l'assiette, entre l'assiette et la cuillère (qui a déjà servi), et la fourchette à gauche. Ceci n'a aucunement pour but de donner les rudiments du savoir recevoir, mais bien de montrer la différence qu'il y a entre apprendre "par cœur", c'est à dire mémoriser tout bêtement, et apprendre en faisant intervenir l'intelligence, qui est ici une forme de mémorisation réfléchie, plus élaborée, plus complexe sans doute, mais finalement plus efficace car re-constructible.

 

Si l'on considère que le savoir-faire est une manifestation de l'intelligence, il parait alors nécessaire d'admettre que l'animal aussi (certains d'entre eux, en tous cas) sont doués d'intelligence. On connaît par exemple la légendaire capacité du renard à déployer des stratagèmes lui permettant de parvenir à ses fins, et la ruse dont il fait preuve pour déjouer les pièges qui lui sont tendus par l'Homme. Dans le même ordre d'idée, que faut-il penser de l'adresse et du savoir-faire des castors qui construisent des barrages avec pour seuls outils leurs dents et leur queue ?

Cependant, à y regarder d'un peu plus près, on s'aperçoit que les trésors d'ingéniosité déployés par le renard ou le castor ne visent, une fois encore, qu'à la survie de ces animaux et jamais la recherche d'une modification de l'environnement avec une intention de favoriser le développement de l'espèce. En fait le savoir-faire est déjà inscrit dans leur code génétique comme un savoir instinctif, sorte d'expérience acquise tout au long de l'évolution du phylum, et se traduisant par des pratiques automatiques destinées à la perpétuation de l'espèce. De tels comportements, bien que remarquables à bien des égards, ne relèvent pas de la mise en œuvre d'une intelligence par association progressive de données observées comme cela se passe dans un cerveau humain. Nous pourrions montrer mille fois à un castor, une autre méthode plus rapide, plus efficace pour ses constructions, celui-ci continuerait inlassablement la même méthode: la sienne qui est aussi celle que ses ancêtres ont pratiqué depuis des lustres !

Enfin, l'intelligence c'est encore plus que la capacité à comprendre, à mémoriser, à déduire logiquement, ... Elle est aussi la capacité à éprouver des sentiments, des émotions, la capacité à imaginer l'avenir avec espoir ou angoisse, la capacité à se savoir exister. "On peut apprendre à un ordinateur à dire "Je t'aime", mais on ne peut pas lui apprendre à aimer!"

 

Une nouvelle génération est-elle plus intelligente que celle de ses parents ?

Regardons un instant la jeune génération, disons ceux qui ont aujourd'hui moins de vingt cinq ans. Ils "tripotent" un clavier d'ordinateur sans éprouver la moindre crainte; ils manipulent les télécommandes avec aisance et les différentes fonctions du téléphone portable ne semblent pas avoir de secret pour eux. Ecoutons aussi leurs parents parler d'eux: "de véritables génies" !

Conclusion: Les générations successives seraient de plus en plus intelligentes. Si cela était vrai on peut se demander quel niveau aura atteint l'intelligence moyenne dans un siècle…

Regardons maintenant la réalité d'un peu plus près, un peu plus en détail, et regardons-la surtout en nous détachant de notre propre lien affectif avec nos enfants ou nos petits enfants. Lorsque nos propres parents ou grand parents agriculteurs ont assisté au remplacement du cheval de trait par le tracteur, et ont assisté à l'avènement de la moissonneuse batteuse, étonnés, méfiants et maladroits dans leurs utilisations débutantes, ne nous disions-nous pas que "à nous, cela ne poserait aucun problème" ? Nous pensions avoir sur nos parents, la même avance que celle qu'ont sur nous aujourd'hui, nos propres enfants; pas plus; pas moins.

A l'inverse, lorsque d'âge mûr, nous avons vu ou entendu parler des premiers ordinateurs qui "débarquaient" dans les entreprises, ne nous sentions-nous pas déjà un peu dépassés, et un peu incompétents pour faire fonctionner de telles machines ? Ne pensions-nous pas alors que seuls des spécialistes - des informaticiens, donc des plus jeunes que nous - en étaient capables ? Lorsque la "machine à laver" (sous-entendu le linge) a fait son apparition, n'a-t-il pas fallu à "la Mère Denis" - et à ses metteurs en scènes publicitaires - des années d'incitation avant que cette machine entre dans toutes les habitations et qu'elle prenne le nom de lave-linge pour la distinguer de son cousin, nouveau-né, le lave-vaisselle ? Les enfants n'ont-ils pas été les plus grands "décideurs" pour l'acquisition, et la mise en œuvre de vos télés ? Et on pourrait multiplier les exemples...

Les enfants ont toujours été, et seront toujours, plus à l'aise que leurs parents pour appréhender les nouvelles technologies. Il y a à cela une raison bien simple: Lorsque nous faisons la découverte d'une nouvelle technologie à l'âge de cinquante ans, nous avons derrière nous cinquante ans d'habitudes, cinquante ans de connaissance et de pratique des technologies existantes, en un mot cinquante ans de conformisme. Toute nouvelle technologie commence inévitablement par heurter ce conformisme.

Nos enfants ont entre vingt et trente ans de conformisme en moins! En gros, la nouvelle technologie en question arrive en même temps que se met en place leur conscience sociale. La nouvelle technologie n'est pour eux que technologie (sans le qualificatif de nouvelle) et s'adopte donc le plus naturellement du monde. Mais ceci n'est nullement le signe que cette génération soit plus géniale ou plus intelligente.

Rappelons-nous l'histoire (racontée plus haut) des singes capables de taper sur un clavier pour obtenir des bananes. Les singes ne comprennent pas le fonctionnement du clavier qui leur sert d'outil, d'interface, pour obtenir leur récompense. Cela ne les empêche pas d'essayer, de réessayer, jusqu'à obtention d'un résultat positif; puis de mémoriser le chemin du résultat positif et de le répéter ensuite. Le singe qui n'essaierait jamais, par peur de ne pas réussir, ou parce qu'il refuserait de faire ce qu'il ne comprendrait pas préalablement, resterait dans la situation d'un singe frustré de ne jamais avoir de banane… Concluez comme vous l'entendez !

C'est aussi ce que commencent à dire certains chercheurs, tel Jean-Gabriel Ganascia, professeur en sciences cognitives et en intelligence artificielle: " ... des études le montrent, l'aisance apparente des enfants [face aux nouvelles technologies] n'est due ni à une intelligence accrue, ni à une connaissance infusée par un contact précoce, ni à une compréhension immédiate et spontanée. Il y a fort à parier qu'avant d'avoir atteint l'âge adulte, les mutations de ces mêmes machines, produites à un rythme effréné et pourtant prévisible, les auront déjà rattrapé jusqu'à les surprendre".

 

L'intelligence se transmet-elle ?

Une nouvelle fois il faut distinguer les deux sens du mot intelligence. S'il désigne l'accroissement du savoir-faire humain emmagasiné au fur et à mesure des générations, l'intelligence collective propre à une espèce donnée, résultat de la complexification, est évidemment transmissible, mais par la voie culturelle seulement et non par la voie génétique.

Cette autre intelligence, celle qui s'exprime dans un contexte donné, au cours d'une vie d'Homme, ne doit, en effet, rien aux gènes. Si l'intelligence était d'origine purement génétique il conviendrait de l'attribuer à une de ces mutations qui interviennent dans le cours de l'Evolution. On peut, certes, dire qu'un être unicellulaire primaire est déjà doué d'une certaine intelligence puisqu'il est capable de se diriger vers l'endroit où il rencontrera de la nourriture. Mais il s'agit là plutôt d'un tropisme, analogue au phototropisme que manifeste le tournesol lorsqu'il se contorsionne pour capter la lumière du soleil avec un maximum d'efficacité.

A vrai dire, l'intelligence telle que nous la concevons aujourd'hui est le fruit d'une longue évolution qui, par mutations successives, a modelé, complexifié le système nerveux pour lui donner progressivement ses caractéristiques actuelles. Un système "sensible" a évolué pour devenir un système "nerveux", c'est-à-dire câblé, en parallèle avec l'évolution des êtres vivants qui, de monocellulaires sont devenus pluricellulaires, puis multicellulaires et complexes. Ce système nerveux élémentaire a continué son extension en constituant, petit à petit, un cerveau. Ce cerveau, encore rudimentaire chez les premiers vertébrés accroît progressivement son volume et ses fonctions pour atteindre sa taille actuelle chez Homo Sapiens, bâtissant la structure qui, à son tour, permettra le développement de l'intelligence.

Mais il faut se garder d'amalgamer la structure, c'est-à-dire le réseau de neurones qui constitue le cerveau, et l'intelligence elle-même qui est seulement le résultat du fonctionnement de ces neurones. Ce qu'aujourd'hui nous nommons intelligence est une fonction du système nerveux et non le système nerveux lui-même.

Si les caractéristiques du système nerveux, dans son ensemble, sont bien des caractéristiques dont le développement est sous la dépendance des codes génétiques, la fonction de production de l'intelligence se trouve, quant à elle, sous la dépendance du milieu et de la culture qui caractérise ce milieu. Par analogie, nous pourrions dire que la technologie est tout à fait en mesure de produire des ordinateurs capables d'exprimer une "intelligence artificielle". Mais l'ordinateur et ses programmes, cette source d'intelligence artificielle - par analogie avec le cerveau - ne peut manifester d'intelligence que si le matériel est utilisé par des êtres humains possédant un minimum de "culture" informatique - par analogie avec le milieu et la culture de ce milieu.

Mettez, par exemple, ce même matériel informatique au milieu d'un élevage de poules, il ne pourra produire aucune intelligence, ou je me trompe complètement sur la culture des poules ! Pour que l'intelligence soit transmissible, de parents à enfants, il faudrait qu'elle soit codée comme la couleur des yeux et inscrite dans le patrimoine génétique des parents. Ce codage n'a jamais été mis en évidence à ce jour. Les neurones doivent nécessairement être en place, avant que puisse s'exercer leur fonction: la fonction associative productrice de l'imagination. Sans neurones connectés il ne peut, en effet, y avoir circulation de l'information et la pensée ne peut même pas exister; l'intelligence encore moins puisqu'elle découle de la pensée.

Or, la mise en place des neurones est sous la dépendance du codage génétique; on pourrait être tenté d'étendre le "poids" du génétique, non seulement à la construction du neurone, mais aussi à la fonction exercée ensuite par ce neurone. Ce serait là aller un peu vite en besogne en amalgamant organe et fonction de l'organe.

Nous savons très bien - et chacun de nous peut facilement le vérifier chaque jour - qu'un enfant adopte le langage qu'il entend parler autour de lui, ainsi que les comportements de son milieu social. Regardez le cas des jeunes enfants adoptés qui viennent d'un pays où le français n'est pas leur langue naturelle. Ecoutez-les s'exprimer un an après leur adoption et vous comprendrez aussitôt que l'apprentissage du langage ne peut pas être inscrit dans les gènes.

C'est, en fait, la totalité de l'apprentissage de l'enfant qui vient de son milieu, et non de ses gènes. Ce n'est qu'à partir de cet apprentissage qu'il pourra élaborer sa propre pensée, autonome et constructive, qu'il pourra imaginer et faire des projets. Avant ce stade, il me paraît difficile de parler d'intelligence.

Autrement dit la fonction cognitive du neurone se crée après la naissance, par influence du milieu sur l'organe qu'est le réseau neuronal. L'intelligence ne peut s'acquérir qu'après la naissance. Le seul moyen que nous ayons pour transmettre notre intelligence à nos enfants, c'est de leur enseigner notre propre savoir.

Un certain nombre de scientifiques s'élèvent d'ailleurs contre les affirmations fallacieuses de l'existence d'un "gène de l'intelligence". Stephen Gould assure que nous commettons une faute grave (et pas seulement une simplification abusive) en parlant de gènes "pour" des comportements spécifiques. "L'intelligence est un réseau d'attributs mentaux largement indépendants et socialement définis, non une entité unique, sécrétée par un seul gène, mesurable par un seul nombre, et qui permettrait de classer la diversité des humains sur un axe ordonné par leur valeur mentale relative". Il va même beaucoup plus loin en soutenant qu'"aucun gène particulier ne détermine, ne fût-ce qu'un aspect élémentaire de notre anatomie, comme la longueur de notre pouce droit", sous-entendant en cela que les caractères, même simples, nécessitent l'action croisée de nombreux gènes.

Que dire pour l'intelligence, qui est loin d'être un caractère simple? André Langaney , citant Jean-Michel Goux, affirme, non sans humour, qu' "un caractère comme l'intelligence est forcément 100% inné et 100% acquis, car on ne peut pas construire de l'intelligence sans gène ni éducation". Autrement dit l'intelligence, celle que manifeste l'humain au cours de sa vie, s'acquiert après la naissance et ne doit rien à la génétique, mais elle s'appuie pour exister sur le support neuronal, créé lui, sous la gestion des gènes.

Dans son livre: "Petite philosophie à l'usage des non-philosophes" Albert Jacquard s'attaque violemment à l'usage abusif qui est fait des quotients d'intelligence (Q.I.), arguant que "les causes [des différences d'intelligence observées au cours des tests] ne sont pas le plus souvent d'origine génétique, elles sont essentiellement sociales, elles peuvent donc être transformées". Il explique, par exemple, que l'échec scolaire n'est pas dû à une intelligence inférieure à la moyenne, mais que ce sont "les mêmes causes qui ont entraîné un Q.I. faible [qui] provoqueront l'échec scolaire".

 

Il est plus facile de paraître intelligent que l'être.

Les hommes ont créé les jugements de valeur, ces jugements qui permettent de classer leurs semblables dans des tiroirs, selon des hiérarchies, et selon des intérêts particuliers. Etre intelligent c'est, pour beaucoup de nos concitoyens, "nager" le mieux possible dans cette mer de jugements et tirer, mieux que les autres, son épingle du jeu. Intelligence est aujourd'hui bien souvent synonyme de débrouillardise et de réussite. Celui qui se coule dans le moule préétabli par les lois sociales et qui sait en tirer parti, qui sait utiliser les outils sociaux pour son profit personnel, fait certes preuve d'intelligence, c'est à dire de capacité à utiliser son néo-cortex associatif pour imaginer les situations gratifiantes dans lesquelles il s'inscrira.

Par ailleurs, on peut se poser aussi la question de savoir si l'intelligence consiste seulement à se couler le mieux possible dans le moule ou si elle ne consisterait pas aussi (et peut-être surtout) à situer sa vie d'homme, de femme, dans l'environnement (biologique, physique et social) et à imaginer comment cet homme ou cette femme, peuvent agir sur l'environnement pour faire avancer la condition humaine toute entière vers un "plus", globalement plus avancé que le point actuel où nous nous situons dans le cours de l'Evolution.

La première solution envisagée consiste à montrer à son entourage qu'on est meilleur, sinon le meilleur, ce qui tend vers l'obtention de la gratification. Dans cette situation on montre son intelligence, on l'expose à son entourage.

Dans la seconde situation, la recherche de la gratification ne se fait pas de façon égoïste dans un environnement immédiat et limité; elle se fait au travers de l'amélioration de la condition humaine dans son entier. La gratification est alors une gratification collective dans laquelle chaque individu trouve son compte.

Paraître intelligent c'est rechercher et se battre pour obtenir la meilleure place "personnelle" au soleil. Etre intelligent c'est rechercher la meilleure solution pour partager collectivement et équitablement le soleil.

L'intelligence "s'apprécie", elle ne se mesure pas. Elle peut à la rigueur se mesurer dans un contexte donné bien défini. L'intelligence est la capacité à utiliser le savoir pour progresser, pour découvrir ce qui n'est pas encore connu. C'est la capacité à synthétiser la somme des connaissances dans le but d'une utilisation qui aille plus loin que le présent. Grâce à l'intelligence, le savoir acquis par les ingénieurs de la NASA ont permis les premiers pas d'Armstrong et d'Aldrin sur la lune, alors qu'aucune expérience précédente de pas sur la lune n'existait en stock dans nos mémoires. L'intelligence est la capacité à connecter entre eux les neurones chargés de mémoire (de faits acquis et engrammés) pour savoir si avec tous ces acquis on peut aller encore un peu plus loin.

Pour illustrer ces propos, imaginons un homme et son chien partis ensemble pour une randonnée. L'homme prévoyant un petit casse-croûte à mi-parcours a mis dans son sac un morceau de pain, une boîte de sardines pour lui et une boîte de pâté pour son chien. Au moment du casse-croûte l'homme sort les vivres, pose la boîte de pâté devant le chien… et se rend compte qu'il a oublié l'ouvre boîte. Il ne fait pas de doute que l'Homme saura, à force de réflexion, trouver un moyen d'ouvrir la boîte pour manger ses sardines. Le chien, livré à lui-même ne saura évidemment pas accéder à son pâté sans l'aide de son maître; Il saura sans doute, grâce aux répétitions des repas antérieurs, par réflexe pavlovien en quelque sorte, que sa nourriture y est enfermée; il pourra la faire rouler avec ses pattes, la prendre dans sa gueule mais sans résultat. L'Homme en cherchant et en trouvant une solution aura utilisé les facultés associatives de son cerveau pour imaginer, dans une situation nouvelle, une façon d'utiliser le "connu", une façon de mettre les acquis du passé au service du présent.

L'intelligence ne fait pas des miracles. Elle permet simplement d'aller plus loin que le connu et l'acquis. L'intelligence c'est la capacité à réveiller les ressources potentielles, la capacité à les recenser et à les connecter pour fabriquer de l'imaginaire.

L'intelligence est soumise à la ségrégation sociale. L'intelligence est attribuée de façon automatique, et par tout un chacun, au chercheur, au philosophe, au médecin, au pape, bref... aux notables, supposés intelligents par nature! Pascal écrivait dans ses "notes", vers 1660, peu avant sa mort: "[Les] robes rouges [des magistrats], les hermines dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n'avaient des soutanes [...], et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes [...] jamais ils n'eurent dupé le monde [...]. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instruments qui frappent l'imagination ; et par là, en effet, ils s'attirent le respect".

A l'inverse, un individu issu d'un milieu paysan, ouvrier ou modeste ne peut pas être considéré comme intelligent à priori, à moins d'avoir fait la preuve d'être une exception! Un individu de cette seconde catégorie qui essaierait de faire preuve d'intelligence serait vite catalogué comme marginal et on s'en méfierait. La même attitude émanant d'un fils de notable bénéficierait d'emblée d'un crédit automatique.

En réalité l'individu moyen n'aime pas qu'on le dérange en bousculant ce qui, jusque là, allait de soi. Si quelqu'un issu de son milieu se met à émettre des idées originales il ne peut être considéré que comme un illuminé ou un marginal; ce qui engendre fréquemment des réflexions du genre: "Si ce que tu dis est vrai cela se saurait!". Faut-il donc être notable pour pouvoir accéder à l'intelligence? Ceux qui le penseraient ne feraient décidément pas preuve d'une bien grande intelligence…

 

Les animaux pensent-ils ?

La capacité d'avoir des pensées constitue l'un des principaux critères qui distinguent l'Homme de la plante et de l'animal. Les végétaux ont une vie végétative et les animaux, une vie qui peut être qualifiée d'instinctive. Ils naissent, se nourrissent et se reproduisent, dans le seul but de survivre. Lorsque ses fonctions essentielles sont assouvies, et s'il reste du temps à l'animal celui-ci le passera volontiers à dormir.

Dans certains cas particuliers, le fait de dormir occupe 100% du temps: pendant l'hibernation, certains mammifères, reptiles etc.... arrivent à réduire à presque rien la dépense énergétique nécessaire au maintien de la vie, si bien que tout l'hiver l'animal dort. L'animal ne met pas à profit son temps libre pour réfléchir ni pour imaginer.

Certains animaux, domestiqués, moyennant une période d'apprentissage, sont capables d'assurer des fonctions autres que vitales, que l'on serait parfois tenté de qualifier d'intelligentes: chien de garde, pigeon messager, animaux de cirque. L'apprentissage est en fait une période de mémorisation d'attitudes de façon à ce que ces attitudes deviennent réflexes. De tels animaux sont capables d'avoir des comportements qui forcent l'admiration. Sont-ils pour autant doués d'intelligence? Non; Ils exécutent certaines tâches ou certaines figures après dressage, c'est à dire par soumission au dresseur, au maître, en échange de récompense; ou par soumission pour éviter la punition. Le dressage a les mêmes conséquences que le conditionnement du chien de Pavlov, lequel conditionnement étant précisément destiné à produire un "réflexe conditionné".

Mais il y a loin des réflexes conditionnés à l'existence de la pensée ou de l'intelligence; pour s'en convaincre il suffit de remettre les animaux conditionnés en liberté, dans leur milieu naturel: certains, après un temps de réadaptation, et sans capacité à utiliser à leur profit l'apprentissage antérieur, retourneront à l'état sauvage; d'autres, trop conditionnés par les habitudes de dépendance de leur maître pour assurer leur subsistance finiront par mourir d'inanition.

De même on ne peut pas dire d'une plante carnivore, comme la Droséra, qu'elle soit intelligente parce qu'elle est capable de mettre en œuvre un savant stratagème destiné à piéger les insectes dont elle se nourrit. Son stratagème relève du codage génétique qui détermine son mode de fonctionnement nutritionnel, c'est à dire d'une mémoire engrammée dans son patrimoine génétique.

Aucun de ces comportements, chez l'animal ni chez la plante, n'a comme objectif de modifier avantageusement la condition animale, ou la condition végétale. De nombreuses expérimentations ont été menées pour tenter de déterminer le degré de cognition (acte intellectuel par lequel on acquiert la connaissance) chez les animaux et notamment chez les chimpanzés. Les chercheurs étudient principalement la capacité à faire usage d'outils pour atteindre des objectifs d'ordre alimentaire, mais aussi la capacité à communiquer, révélatrice de l'existence d'une intention.

Dans son livre L'école des chimpanzés , Roger Fouts décrit comment ses pensionnaires, parmi lesquels une jeune guenon prénommée Washoe, a appris à communiquer ses intentions et ses émotions grâce à l'Ameslan, langage gestuel des sourds humains. Les résultats obtenus par Fouts sont évidemment minimisés par les tenants de l'idée que le langage est une exclusivité de l'Homme dit Sapiens.

De son côté, Gordon Gallup utilise des miroirs pour étudier si les animaux ont conscience d'eux-mêmes. Son dispositif d'étude consiste à endormir un animal par anesthésie. Pendant son sommeil il badigeonne de rouge certaines parties du visage de l'animal. Au réveil, il les place face à un miroir et étudie leurs réactions. Il note que "seuls les chimpanzés, les orang-outans et les humains recherchent sur eux-mêmes les taches colorées qu'ils voient dans le miroir". Selon Gallup, si la plupart des autres animaux étudiés (primates, éléphants, dauphins, oiseaux) ne se reconnaissent pas dans le miroir, c'est parce qu'ils n'ont pas conscience de leur identité. "Les enfants humains de moins de dix-huit mois environ ont ce type de comportement. Ils ne manifestent de signes évidents qu'ils se reconnaissent que lorsqu'ils commencent aussi à manifester d'autres signes de conscience de soi, par exemple quand ils commencent à utiliser les pronoms personnels".


Le
test du miroir

Dans le domaine de l'acquisition par les animaux d'un certain savoir-faire, de nombreux travaux rapportent que les chimpanzés (encore eux) savent utiliser un bâton pour attraper un fruit sur un arbre, casser des noix en utilisant deux pierres dont l'une sert d'enclume et l'autre de marteau, ou se régaler de termites "pêchées" avec l'aide d'une tige de bois effeuillée ou de brindilles qu'ils enfoncent dans les termitières. L'usage d'outils, et encore plus leur conservation, implique que l'animal dispose d'une capacité d'anticipation: Il sait que l'outil va lui servir dans un but qui s'inscrit dans le futur. C'est la preuve d'au moins un début d'intelligence.

Anecdote réelle:
Noël est un bourlingueur, aujourd'hui septuagénaire, qui au cours de sa vie active a exercé cent métiers. Il ne s'est pas contenté d'être un exécuteur de tâches: "J'ai toujours cherché à savoir quel était le sens de ce qu'on me demandait de faire". Il raconte l'histoire de son corbeau en précisant d'emblée "q'un corbeau, ça peut être intelligent". Il avait récupéré son corbeau, que quelqu'un d'autre avait certainement tenté d'apprivoiser avant lui, car il avait la queue et les ailes rognées aux ciseaux pour l'empêcher de s'enfuir. Il l'adopta, lui donna le nom de "Coco", puis, progressivement l'incorpora dans un poulailler en plein air, grillagé sur tout le périmètre, mais sans toit. Lorsque Coco le corbeau se faisait attaquer par une poule ou un coq il évitait le combat et courait vite se réfugier contre un mur ou le grillage, dos au mur, dressé sur ses pattes. "Dans cette position il pouvait se défendre bec et ongles, sans qu'il se fasse attaquer dans le dos!". Lorsque les attaquants étaient plus forts en nombre, il se mettait à crier d'une drôle de façon, aboutissant à rameuter d'autres corbeaux et des pies qui venaient à sa rescousse. Noël lui faisait souvent partager la pitance du chien. Chaque fois qu'il le pouvait le corbeau chipait un morceau de viande et allait le porter dans un coin, prenant soin de surveiller le chien pendant qu'il cachait son butin sous quelque feuille. Si le chien l'observait pendant la manœuvre, il changeait de cachette. Lorsque Noël l'emmenait avec lui au potager pour cueillir des radis, il se mettait, lui aussi, à déterrer les radis qu'il mettait dans le panier avec ceux de Noël. Bien que partageant la même gamelle, le chien et le corbeau ne s'entendaient pas forcément comme larrons en foire. Le corbeau arrachait les poils de la queue du chien, lequel bien évidemment se rebiffait, mais ils s'entendaient comme de bons espiègles… Un triste soir, Noël prit sa Renault 4L pour aller faire un tour et, par malheur, écrasa accidentellement le corbeau intelligent. Noël ne s'en rendit pas compte et ne le comprit qu'à son retour. S'étonnant d'entendre le chien hurler à la mort, Noël alla à sa rencontre et le trouva assis près de la dépouille du corbeau. Noël comprit alors que son chien pouvait ressentir des émotions comparables, sinon semblables, à celles qu'il était lui-même en train de ressentir. Plein de tristesse, il se demanda alors lequel des trois - du chien, du corbeau ou de lui-même - est l'être le plus intelligent. Est-ce lui-même puisqu'il est un humain et que l'humain s'attribue le grade le plus élevé en se trouvant intelligent? Est-ce le chien qui, tout en étant animal et soumis, se montre capable de ressentir et d'exprimer des émotions ? Est-ce le corbeau, auquel on impute habituellement une intelligence négligeable, mais qui se montre capable de stratégie et même d'imiter les gestes de l'Homme ?

Cette anecdote a le mérite de suggérer qu'il n'y a pas une franche rupture entre l'Homme et l'animal, ni entre l'Homme et le reste du monde. Il y a plutôt des degrés de complexité dans les systèmes nerveux des êtres et ces degrés de complexité s'accompagnent de degrés d'intelligence. Il y a continuité évolutive plutôt que rupture.

L'Homme ne se distingue probablement pas, autant qu'il le souhaiterait, de ses frères animaux. Car dans la réalité les animaux sont capables de ressentir des émotions: Les chiens manifestent la joie de retrouver leur maître; dès qu'on prend leur laisse ils se réjouissent de savoir qu'ils vont bientôt faire leur sortie quotidienne; dès qu'on leur apporte leur gamelle ils frétillent de la queue. Une vache appelle par un beuglement particulier, plusieurs jours durant, son veau dont elle a été séparée. Un chat placé devant un chien belliqueux éprouve de la peur, réagit en hérissant les poils de son dos voûté et en se faisant menaçant. Certains grands singes sont capables de communication, même rudimentaire par signes appris.

L'Evolution n'a pas fait d'une part les objets minéraux, d'une autre part les végétaux, d'une autre part encore les animaux, et d'une autre part enfin les humains, avec pour chaque catégorie des caractéristiques précises permettant de les distinguer nettement entre elles. Il ne faut pas perdre de vue que l'Evolution n'est pas une entité directrice ou créatrice qui serait douée d'une intention. L'Evolution ne reflète qu'un constat: Le constat que les choses évoluent dans le temps; le constat que les choses qui se trouvent dotées de caractéristiques favorables, par le hasard des rencontres (dans le monde des atomes et des molécules) et par le hasard des mutations (dans le monde du vivant), demeurent tandis que les autres disparaissent.

Cette évolution au hasard laisse évidemment de la place pour une quantité de choses intermédiaires entre chaque catégorie. C'est pourquoi les scientifiques ont parfois bien du mal à catégoriser certaines de ces choses: Le sel marin est-il vivant puisque capable (comme tous les minéraux cristalloïdes) d'engendrer de nouveaux cristaux parfaitement identiques aux cristaux modèles ? Les champignons sont-ils des végétaux alors qu'ils n'ont ni racines, ni tige, ni feuilles, ni chloroplastes comme les plantes ? Les singes sont-ils des animaux alors que leur génome est très peu différent de celui des humains ?

En fait il n'y a jamais rupture totale entre les différentes espèces qui constituent notre univers, mais plutôt quelque chose qu'il faudrait nommer par le double mot de parenté-différence. Parenté parce que rien n'est complètement différent de tout le reste, et différence parce que rien n'est parfaitement identique à son plus proche parent. Cette parenté-différence qui rapproche les choses entre elles s'applique aussi aux choses immatérielles que sont les émotions, le savoir, la pensée et l'intelligence.

Au lieu de rupture il n'y a, en fait, que des degrés de différence, avérés au cours de l'évolution et du temps. Ceci ne remet pas en cause le fait que, globalement, les humains sont plus imprégnés d'intelligence que les animaux. Ceci veut seulement dire que, lorsque nous classons les animaux dans un grand tiroir avec l'étiquette "animaux" (qui suppose des êtres inférieurs non pourvus de la capacité d'émotion, de la capacité de pensée, encore moins de la capacité d'intelligence) et les humains dans un autre grand tiroir avec l'étiquette "Homo Sapiens Sapiens", nous imaginons facilement que le contenu d'un tiroir n'a strictement rien à voir avec l'autre.

En fait, si les animaux et les humains doivent effectivement être rangés dans deux tiroirs distincts, il faut cependant éviter de mettre une cloison rigide entre les deux. En d'autres termes, les anthropoïdes ne se sont pas subitement et radicalement différenciés des primates, ni Homo Habilis des Hominoïdes, pas plus que Neandertal d'Homo Erectus. Il a fallu du temps pour que l'évolution marque une réelle différence.

 

L'intelligence artificielle.

L'ordinateur, invention extrêmement récente, est très rapidement devenu un objet courant, banalisé, et tout aussi domestique que le chien ou le chat. C'est en 1936 que le mathématicien anglais Alan Turing a conçu, une machine théorique qui préfigurait l'ordinateur. En 1945, un autre mathématicien américain d'origine hongroise, John von Neumann, connu pour ses travaux de mécanique quantique, fut à l'origine de l'enregistrement des programmes dans la mémoire des ordinateurs, et permit la mise au point de la machine qui porte son nom, machine à laquelle on attribua la capacité d'imiter et de reproduire les caractéristiques du cerveau humain.

Au cours de la dernière décennie, l'ordinateur fait une entrée fracassante dans tous les domaines de la vie. Après avoir été adopté dans le monde industriel pour ses capacités liées notamment à sa vitesse de calcul, il entre dans les foyers après avoir réussi les tests de convivialité. L'ordinateur sait tout faire: composer un numéro de téléphone comme vous trouver les vacances de rêve au meilleur prix, chose, il faut bien l'avouer, que peu d'humains sauraient faire compte tenu de l'immensité des possibilités.

L'ordinateur serait-il, finalement, intelligent ? voire plus intelligent que l'Homme, puisque capable de faire des calculs que les humains ne sauraient faire, même en travaillant 24 heures sur 24 pendant toute une vie ? ?

Tout cela est vrai, mais on s'émerveille beaucoup devant les capacités de plus en plus grandes de la machine, en oubliant qu'à l'origine de tout cela, il y a des humains qui ont conçu un programme que la machine ne fait qu'utiliser, selon un code qui ne souffre pas la plus minime divergence. Pour s'en convaincre, il suffit de savoir qu'une seule lettre, ajoutée ou supprimée dans un programme, pour que l'ordinateur, chargé d'exécuter ce programme, s'arrête ou se mette à faire n'importe quoi. A ceux qui ne sont pas convaincus, rappelons que le simple passage de l'année 1999 à l'année 2000 a causé bien du souci aux utilisateurs des outils informatiques comme à ceux qui les programment.

De toute évidence, un ordinateur n'est pas intelligent, dans le sens que l'on attribue à l'intelligence humaine , il est simplement performant et rapide pour exécuter une tâche que l'Homme lui ordonne. Un cerveau humain est capable de créer une idée nouvelle, appelons-la N à partir de la connaissance préalable des idées A, B, C… déjà en mémoire. Un ordinateur ne peut le faire que si on lui a préalablement ordonné que, possédant A, B, C… en mémoire, il exprime N. Ce qui revient à dire que ce n'est pas l'ordinateur qui crée N mais le programmateur, par l'intermédiaire du programme qu'il a conçu et écrit.

Le programme, donc l'Homme, fournit à la machine le chemin à prendre, les ingrédients à choisir, les assemblages à faire et l'ordre d'exécution, pour aboutir à un résultat. Je n'ignore pas que l'ordinateur puisse aussi faire de la conception. Mais ce que l'on appelle conception n'est qu'une exploration "tous azimuts", en aveugle, de tous les assemblages possibles de données existantes, exploration qui s'arrêtera sur la conception répondant le mieux au cahier des charges préalablement établi par ce que l'on appelle un système expert; lequel système expert est établi par un humain !

Au mieux, la machine aura évité à l'humain de très longs calculs rébarbatifs. Mais il n'aura pas "conçu" à sa place. Il convient cependant de reconnaître que certaines machines peuvent jouer un rôle qui s'apparente à l'intelligence humaine. Tel est le cas de l'ordinateur appelé Deep Blue construit par IBM pour battre le champion du monde d'échecs Garry Kasparov. Ce super ordinateur doit son intelligence apparente à une formidable capacité de calcul: Il peut passer en revue 50 milliards de positions de jeu entre chaque coup, grâce à la puissance de calcul de 512 microprocesseurs ! ce que, de toute évidence, le cerveau de Kasparov ne peut pas faire. L'ordinateur peut aussi se référer à une gigantesque base de données dans laquelle toutes les parties de Kasparov sont enregistrées. Mais chaque fois que Kasparov crée une situation de jeu non répertoriée, la machine doit utiliser toute son énergie et ses capacités pour tester en aveugle toutes les possibilités de stratégies pour n'en retenir qu'une sur plusieurs millions.

C'est le combat d'une puissance aveugle contre une véritable intelligence. Mais n'est-il pas abusif d'attribuer le nom d'intelligence à une puissance aveugle ? Enfin, pour être complètement convaincu que l'intelligence artificielle n'à rien à voir avec l'intelligence humaine, mettez dans un bateau un humain - disons le même Garry Kasparov - et un ordinateur - pour faire bonne mesure disons: Deep Blue -;) éloignez le bateau du rivage, puis faites-le chavirer pour jeter le tout à la mer. Lancez aussitôt une bouée à chacun et observez: Seul l'Homme sauve sa peau, tandis que l'ordinateur (même le plus "branché") coule à pic !

 

La conscience et l'intelligence survivront-elles au progrès ?

C'est la question que l'on est amené à se poser lorsque l'on tente de comprendre la quête perpétuelle de l'Homme pour trouver des solutions qui repousseraient le plus loin possible l'échéance finale de la mort. La science sait déjà remplacer un cœur, un poumon, un rein défaillant par un autre. A défaut de "donneur d'organe" on est capable de pallier une oxygénation insuffisante par un poumon artificiel, une circulation sanguine défaillante par un cœur artificiel, un rein malade par un appareil à dialyse…

On peut imaginer un Homme qui continue à vivre avec des yeux remplacés par des mini caméras, un intestin synthétique, un sang chimiquement reconstitué, et un cerveau rempli de prothèses de puces électroniques. Le 11 octobre 1999, les médias annonçaient qu'un paraplégique avait reçu une greffe de "mini ordinateur" capable de fournir aux muscles, des impulsions électriques contrôlées, proches de celles qu'ils reçoivent naturellement. Ces impulsions sont destinées, selon l'expression des chirurgiens, à permettre au paraplégique "de se mettre debout et de faire quelques pas".

En globalisant quelque peu ce type de résultat, on pourra certainement, un jour, remplacer tous les organes vitaux d'un corps humain, comme on remplace les pièces défectueuses d'une machine. Mais il se pose, dès lors, la question du devenir de la conscience d'un tel Homme robotisé. Pourra-t-elle continuer à exister dans un corps progressivement transformé en machine ? Cet Homme, qui n'en aurait plus que le nom, pourra-t-il continuer à éprouver de l'amour, du chagrin, de la joie, de la pitié ? Pourra-t-il continuer à rêver, à imaginer le futur, à faire des projets ? En un mot, jusqu'à quel point la conscience peut-elle survivre à la substitution de quelque chose de biologique, c'est à dire de vivant, par quelque chose de mécanique, c'est à dire inerte ?

Une autre question que l'on peut se poser: Si l'on peut remplacer progressivement les différentes parties du corps par des ersatz, qu'en sera-t-il lorsqu'on voudra remplacer le cerveau? Ou encore: est-ce qu'un cerveau, seul rescapé biologique greffé sur un corps-ersatz , suffit-il à définir une personne humaine?

Ce qui fait l'Homme, en effet, ce n'est pas la somme des particules qui constituent sa matière. En cela il ne diffère en rien de l'animal, et seulement très peu de la machine ou de la matière inerte. Ce qui fait que l'Homme est Homme, c'est l'assemblage particulier des molécules et les liaisons qui existent entre elles; et c'est leur globalité qui permet la naissance et la circulation de ces flux exceptionnels que l'on nomme pensée, conscience et intelligence.

1 - Pour exister, la pensée a besoin d'un cerveau et d'un système nerveux

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