Nos libertés
C'est un lieu commun de dire que "la liberté des uns s'arrête où celle des autres commence". Pourtant il reste difficile d'en repérer la limite, tant la notion même de liberté est difficile à définir strictement. Elle est étroitement liée à la notion de droits.
Si nous essayons de nous mettre dans la peau d'un esclave pour tenter de percevoir à quoi pouvait ressembler sa vie, nous pouvons comprendre qu'elle ne soit guère différente de celle de l'animal. Nourri, non pour son bien être mais pour conserver sa force de travail, contraint en toute circonstance d'obéir, de marcher ou de crever. Doté pourtant par la Nature de l'intelligence et de la capacité à penser, et donc conscient qu'il ne pourrait jamais accéder aux plaisirs du maître, sa condition d'esclave devait être encore plus difficile à supporter que s'il avait été un animal. Rédigeant ces lignes, je me rends compte que j'écris au passé, comme si l'esclavage n'existait plus. Pourtant, la condition humaine des nouveaux esclaves de l'économie mondialisée n'est guère plus enviable. Dans ces pays dits pudiquement "en voie de développement" les uns survivent en triant les déchets en provenance des pays dits avancés, les autres encore enfants, travaillent dans des conditions insalubres à assembler chaussures et vêtements "de marque" pour subvenir à leur minimum vital... Dans notre propre pays, cette liberté fondamentale existe t-elle pour tout le monde? Existe t-elle pour les exclus de la société dont on ne parle qu'au moment des fêtes de fin d'année, au moment où nous autres privilégiés nous apprêtons à réveillonner, au moment où nous avons - pour nous dédouaner - une pensée émue pour les sans toît et les "sans dents"?
Les droits sont reconnus dans deux documents principaux: La déclaration des droits de l'homme et la Constitution qui sont censés garantir théoriquement ces libertés. Les libertés qui y sont explicitement citées sont
Parmi les principaux droits, citons:
Enoncer des libertés ne suffit pas pour être libre. Il faut encore que ces libertés puissent s'exprimer et se concrétiser; autrement dit que les individus aient le pouvoir d'exercer leurs droits et d'user de leurs libertés.
Si les droits et les libertés sont effectivement inscrits dans les textes et font partie des discours politiques ils sont bien souvent très peu ou très mal appliqués.
... est sous surveillance. Les caméras poussent partout: dans
les rues, sur la route, dans les espaces publics, dans les banques,
les magasins...
... est mise à mal sur internet et principalement sur les réseaux sociaux. Nos visites sur les sites marchands ou une simple recherche de renseignements et nous voilà fichés, profilés, et ciblés pour des sollicitations commerciales correspondant plus ou moins à nos habitudes. Tous nos déplacements sont suivis grace à la trace laissée par la géolocalisation de nos portables. On connait nos trajets habituels, le nombre de fois où nous faisons le plein de carburant, le nombre de fois où nous allons à la pharmacie, au supermarché, au bistrot... Pour se convaincre de la masse de données que peut révéler notre smartphone, ou notre fournisseur d'accès, il suffit d'écouter les compte-rendus des enquêtes criminelles. Nos gouvernants eux-mêmes pratiquent la traque des Français en permettant les regroupements de fichiers. Ainsi par exemple, un décret du 30.10.2016 a autorisé "la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité", appelé fichier "TES" (Titres Électroniques Sécurisés). Ce gigantesque fichier regroupe nos caractéristiques personnelles: nom de famille, prénom, date et lieu de naissance, sexe, couleur des yeux, taille, adresse, image numérisée du visage et des empreintes digitales, adresse de messagerie électronique… Tout agent de la fonction publique pourra accéder à ces données "pour les besoins exclusifs de leurs missions"... De tels fichiers risquent le piratage, et peut-être même, à l'avenir, leur vente à des sociétés de droit privé. La CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés) créée en janvier 1978 pour s'assurer que les traitements concernant des informations à caractère personnel soient conformes à la loi, s'est opposée à l'instauration de tels fichiers. Mais son avis n'est que consultatif et ne sert donc qu'à apaiser les craintes du citoyen.
... existe t-il vraiment sans entrave? Le droit de grève était interdit en France jusqu'en 1864. La loi du 25 mai 1864 supprime le délit de coalition instauré par la loi Le Chapellier (1791). Le régime de Vichy (1941) interdira à nouveau de faire grève et posera le principe des syndicats uniques et obligatoires. La Constitution de la Quatrième République (1946) inscrira dans son préambule que "Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix". L’attachement à ce préambule et à la déclaration universelle des droits de l’homme sera réaffirmé dans la constitution de 1958, faisant du droit de grève un droit constitutionnel. Pourtant, le patronat et les partis réactionnaires n'auront de cesse d'attaquer ce droit notamment en invoquant le "délit d'entrave à la liberté du travail" énoncé dans l'article L. 412-1 du Code du travail, issu de la loi du 27 décembre 1968 et aussi en se référant à l'article L. 431-1 du Code pénal. Le recours au délit d'entrave se concrétise souvent par un licenciement pour faute dont les représentants syndicaux sont la cible privilégiée. Mais la façon la plus simple et la plus sournoise de combattre le droit de grève est de favoriser (de façon déguisée car officiellement interdite) les salariés non grévistes par des avantages qui prennent les noms de primes diverses et variées. Plus récemment (2016) le gouvernement Hollande-Valls a profité de l'état d'urgence et de la lutte anti-terrorisme pour interdire grèves et manifestations au nom de la sécurité.
... est-il un droit qui correspond à une quelconque réalité dans un pays qui compte 3.500.000 chômeurs? Et comment sera respecté demain ce droit puisque le gouvernement, lui-même censé être le garant du respect des droits, utilise la force en faisant usage de l'art.49.3 malgré l'opposition populaire massive, pour faire passer des nouvelles lois (Loi El Khomri) qui réduisent les droits contenus dans le code du travail?
... et d'éligibilité permet théoriquement au citoyen de participer à l'exercice du pouvoir. Le fonctionnement du système de démocratie représentative nous montre que ce n'est pas le cas. Le droit de vote (qui devrait être le droit de voter la loi) est réduit au seul droit d'élire, c'est-à-dire au droit d'abandonner son pouvoir de décision à des représentants pour voter la loi en lieu et place du citoyen.
La santé est notre bien le plus précieux. Pourtant ce droit fondamental, inscrit dans le droit international sur les droits humains, est lui-même mis à mal par
"Une fois que vous avez rogné
des libertés et que la population s’est habituée, il y a un taux d’acceptabilité
qui augmente face à des mesures dangereuses. Or, depuis le début des
années 2000, on avance inéluctablement vers un effritement régulier
du socle de nos libertés fondamentales".
Depuis les années 1990, on a vu se multiplier, sans réels garde-fous et sans résultats probants, des politiques sécuritaires toujours plus restrictives des libertés fondamentales: Code de la sécurité intérieure créé en 2012, suivi de plus de 20 lois à vocation sécuritaire en 20 ans, généralisation de la vidéosurveillance, surveillance des réseaux sociaux... La France a vécu trois de ces cinq dernières années juridiquement sous état d’urgence. Décrété après les attentats du 13 novembre 2015 il ne prendra fin que le 31 octobre 2017… avant d’être réactivé en mars puis en octobre 2020, jusqu’à mi-février 2021 pour cause de coronavirus. A cette occasion l'Etat tente une accélération de la numérisation de nos existences et un contrôle accru des pouvoirs publics sur nos vies, notamment par l'application de traçage Stop-Covid. Au cours des 3 premières années Macron, la "Loi Travail" a considérablement réduit les droits des salariés. En novembre 2020 le gouvernement Castex veut interdire la diffusion d'images de policiers voyous qui tabassent et discriminent sans raison. Les raisons invoquées pour justifier ces restrictions de libertés sont nombreuses: terrorisme, immigration de masse, blanchiment d'argent, fraude fiscale... ou plus récemment les "fake news" et les "contenus haineux" sur Internet.
Nos cartes bancaires servent à établir notre profil, à étudier nos achats: leurs volumes, leurs fréquences, leurs caractéristiques. Mais elles ont d'autres fonctions auxquelles personne ne semble prêter attention: elles conditionnent nos réflexes pour aller dans le sens voulu par les "maîtres" de la société. Le paiement numérisé sera bientôt le seul moyen de paiement possible. Selon Les Echos, John Cryan de la Deutsche Bank, a annoncé lors du sommet de Davos en 2016 que "le cash n'existera probablement plus dans 10 ans". Les pays scandinaves sont déjà engagés dans cette voie en supprimant les distributeurs automatiques de billets et en donnant accès au paiements par carte bancaire aux enfants dès l'âge de 8 ans. Le paiement par smartphone et sans contact (Paylib en France) est en train de se substituer à la carte bancaire. Toutes ces dispositions, sous couvert de lutte contre la fraude, permettront aux banques de contrôler toutes nos opérations bancaires, de moduler nos achats en fonction du niveau de notre compte, d'interdire certains achats, etc... En un mot nous ne pourrons plus utiliser NOTRE argent comme bon nous semble.
Chaque fois que nous allons sur internet, chacun de nos clics est observé, analysé, enregistré, pour mieux nous.... utiliser. Lorsque nous fermons la page, nos recherches, nos centres d'intérêts,... sont stockés dans les fameux cookies Pour resservir à la prochaine visite.
Nos propres téléphones, smartphones et ordinateurs sont, à chaque instant, nos propres espions. Et nous n'y prêtons guère attention parce que ce sont NOS outils et que nous leur faisons une confiance aveugle. Chacun sait que nombre de criminels ont pu être arrêtés et confondus grâce au repérage et au traçage de leurs téléphones par géolocalisation. On le sait peut-être moins: Vous pouvez géolocaliser un téléphone perdu, et suivre ses déplacements s'il a été volé, grâce à des services de traçage du mobile. Juste en renseignant votre numéro d'appel. Certains services permettent de sauvegarder vos données sur un cloud, d'en verrouiller l'écran et de bloquer la fonction paiements. Vous pourrez également supprimer toutes les données stockées sur l'appareil. Exemple ici. Ce que l'on sait beaucoup moins, c'est que certaines applications que nous installons naïvement et que nous croyons utiles et inoffensives, sont parfois de véritables espions qui envoient nos habitudes. Ce n'est pas encore très grave quand elles se contentent d'afficher des publicités ciblées. Mais elles peuvent aussi récupérer et transmettre nos données personnelles, y compris nos comptes et nos mots de passe. Pour vous en persuader il suffit d'ouvrir votre gestionnaire d'applications et de regarder les autorisations d'accès qui sont cochées par défaut comme autorisées alors qu'elles n'ont rien à voir avec la fonction pour laquelle vous avez installé l'application. Par exemple: Pourquoi une lampe torche vous demande t-elle l'autorisation d'accéder à votre agenda, votre répertoire, vos photos.... ?
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