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Changer la société

Qu'est-ce que la vie?

Biologie de la vie

 

 

Par Anicet Le Marre

Lorsque nous parlons de vie, nous pouvons donner à ce mot plusieurs sens différents: Il peut désigner l'ensemble des phénomènes assurant l'évolution de tous les organismes animaux et végétaux, ainsi que nous venons de le voir. Il peut prendre le sens de durée, décrire le cours de l'existence ou encore les événements qui la remplissent, la façon dont on la mène… La vie a aussi une dimension biologique. C'est cet aspect que nous allons explorer dans cette page.

 

Au début, je suis... sans être

La conception

Dans un premier temps il y a "un avant". Avant c'est quand je n'existe pas encore; aucun grain de matière ne me constitue; on ne peut pas me voir, ni me sentir, ni me toucher: je suis le néant c'est-à-dire l'absence d'existence même. Et pourtant ! ...

Pourtant je vais naître! Pourrais-je naître de rien? Non car, nous l'avons déjà évoqué plus haut, la génération spontanée n'est que chimère; si je vais naître, je vais naître de quelque chose, mais de quoi? En fait j'existe sous forme de potentiel, j'existe en possibilité de vie, sans aucune matérialité. Non seulement je ne suis qu'un potentiel d'existence, mais en plus, je suis un potentiel dispersé.

Il y a, en effet chez celui qui va devenir mon père géniteur, un organe particulier, le système génital, qui comme son nom l'indique a la possibilité de générer, c'est-à-dire de produire des cellules particulières appellées spermatozoïdes. A l'intérieur de ces cellules, mon père "aura mis" une copie codée de ce qu'il est lui-même, sous la forme de 23 chromosomes.


Les cellules masculines possèdent un chromosome X et un Y.
Les cellules féminines possèdent deux chromosomes XX

Il y a, de même, chez celle qui va devenir ma mère génitrice, un appareil génital qui possède également la capacité de générer des cellules particulières appellées ovocytes. Dans chacun des ovocytes ma mère aura, elle aussi, "mis" une copie de ce qu'elle est elle-même, en la forme de 23 autres chromosomes.

Il faut bien admettre que, bien que je n'existe encore que sous forme de potentiel, cette "préexistence" est déjà fort originale: Je suis dispersé avant même d'exister! Je suis un potentiel d'autant plus dispersé, que l'individu que je viens d'appeler mon père géniteur pourrait très bien s'appeler Pierre, ou Paul ou Jacques, ou tout autre individu perdu au milieu de tous les hommes de la Terre. Il en est de même pour celle que je viens d'appeler ma mère génitrice, qui pourrait bien s'appeler Marie, ou Marguerite ou Eve, ou n'importe quelle autre femme de la planète.

Et ce n'est pas tout, parce que ma mère génitrice a déjà, depuis sa prime jeunesse, initié (préparé à partir de cellules nommées ovocytes ) environ 300 à 500 ovules (ovocytes prêts à être fécondés) qui seront libérés un par un - parfois plusieurs - au quatorzième jour de chaque cycle de 28 jours qui vont ponctuer sa période de fertilité. Or nul ne sait lequel d'entre eux sera mon précurseur. Je sais encore moins de quel spermatozoïde je vais émerger, parmi les milliards que produit mon père géniteur.

C'est le hasard qui va être le metteur en scène de cette future naissance; le hasard qui fera que mon père et ma mère vont se rencontrer; le hasard qui va faire que ce sera tel ovule sur quelques centaines qui rencontrera tel spermatozoïde sur les milliards possibles. La part du hasard sera encore plus grande au cours de la division que l'on appelle méiose: lorsque les 23 chromosomes paternels se séparent, en se recombinant, pour former les gamètes mâles, il existe en effet 8 millions de combinaisons possibles (soit 2 à la puissance 23). Il existe aussi 8 millions de combinaisons possibles pour les 23 chromosomes maternels au cours de la formation des gamètes femelles. A la fusion du spermatozoïde et de l'ovule pour former l'œuf (le zygote) il existera 64 mille milliards de combinaisons possibles (8 millions x 8 millions), soit bien plus qu'il n'y a d'individus sur la planète!

Ceci montre bien, si besoin était, que chaque individu est un être unique, différent de son voisin et même différent de son frère (sauf dans le cas très particulier des vrais jumeaux homozygotes, issus de la division du même œuf après fécondation).

Laissons donc les choses se faire au gré du hasard, comme elles se sont toujours faites depuis le début de l'Univers, et reprenons le fil. Un jour donc, ou peut-être un soir, mon père et ma mère font ce qu'ils appellent l'amour. Et là, le hasard vient de continuer son œuvre car il se trouve que l'un des deux ovaires de ma mère vient tout juste de laisser s'échapper un ovule, arrivé à maturité, et qui, doté de sa copie chromosomique, va cheminer lentement dans le long tunnel des trompes de Falloppe, en direction d'une sorte de grotte appelée "utérus". La grotte est humide et ornée de stalactites et de stalagmites, mais qui ne sont pas faits de glace ni de calcite; il s'agit d'une grotte vivante, qui bouge doucement et qui constitue une sorte de refuge douillet. A la fin de l'acte d'amour mon père a vigoureusement expulsé les quelques trois à quatre cent millions de spermatozoïdes qui attendaient ce moment depuis déjà quelque temps. Aussitôt ceux-ci prennent également la direction de la fameuse grotte mais par un chemin opposé. La visite de la grotte ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse tous c'est de trouver la "princesse" nommée Ovule (grâce au code génétique qu'ils comprennent fort bien et qui est inscrit sur la copie qu'ils portent en eux). De même, princesse Ovule est en route pour la rencontre avec son prince charmant. Vous imaginez bien que chacun des spermatozoïdes aimerait être l'heureux élu, mais ce que vous n'imaginez peut-être pas c'est la rage avec laquelle ils vont se battre pour elle... Dès que l'heureux gagnant entre dans l'ovule, la porte se ferme et le matériel génétique des deux vont s'unir pour donner la vie à un nouvel être vivant.


Un seul des millions de spermatozoïdes en compétition fusionnera avec l'ovule...

Vous vous souvenez qu'au début, l'être n'était rien, sinon une possibilité, un simple "potentiel", dispersé dans un spermatozoïde et un ovule. Il est désormais un tout que l'on appelle un œuf: une cellule comprenant tous les ingrédients d'une cellule et surtout la totalité du "Code de la Vie" écrit dans 23 couples de chromosomes.

Jusque là, le Code de la Vie était écrit sur deux moitiés de livres: l'un avait les pages de gauche et l'autre les pages de droite. Avec la moitié de gauche le spermatozoïde connaissait le chemin qu'il devait emprunter pour aller à la rencontre de l'ovule. Mais il ne connaissait pratiquement rien de plus, s'il n'avait pas rencontré d'ovule il aurait tout simplement disparu, il serait mort avant même de naître! Avec la moitié de droite, l'ovule ne connaissait que le chemin qui devait le mener à la rencontre de son prince charmant; il ne pouvait survivre que deux à trois jours, tout au plus et aurait lui aussi disparu avant de naître.

Il y a maintenant deux nouvelles choses importantes: La première est que l'oeuf peut continuer à vivre (presque) de façon indépendante, alors qu'avant, les deux moitiés étaient vouées à une mort rapide si chacune restait indépendante. La deuxième est que l'oeuf peut lire tout ce que le livre entier de la vie contient, alors que jusque là, les moitiés séparées étaient inutilisables.

Le livre se présente un peu comme un mode d'emploi détaillé pour construire une maison: on bâtit d'abord les murs et le toit, la structure comme disent les architectes; puis on pose plein de câbles électriques qui permettront plus tard l'acheminement de la lumière, de l'énergie et de l'information. On finit alors l'intérieur; puis on la meuble et on peut y habiter, y dérouler le cours de la vie.

Le moment le plus important dans la rencontre de l'ovule avec le prince charmant a été celui où eût lieu la mise en commun des deux moitiés de livre; chacun apportait les 23 longs parchemins que sont les chromosomes et c'était un véritable enchantement de voir la facilité avec laquelle chaque parchemin trouvait son homologue pour former la paire de pages, vous vous souvenez, la paire de pages qui permet de commencer la lecture de l'histoire écrite sur la page de gauche, et de la continuer sur la page de droite. Tout ce qui est écrit dans le livre constitue le code. Chaque message qui y est inscrit est une loi qu'il faut maintenant exécuter.

 

La multiplication

La première loi dit qu'il faut tout de suite faire des copies de soi-même, beaucoup de copies. Une naissance est synonyme de fête; alors imaginons nos 46 chromosomes initiaux s'assemblant par paires pour former 23 couples de danseurs sur la scène de la vie. La multiplication cellulaire qui démarre se déroule un peu comme la danse du balai; cela donne à peu près ceci: Premier coup de balai: Je demande aux 23 premiers couples qui ont déjà entamé la danse de la vie, de se séparer momentanément en deux groupes distincts, en leur précisant bien que deux chromosomes formant un des couples du début ne peuvent pas se retrouver ensemble dans le même groupe. Chacun obéit et semble déjà me reconnaître comme "chef d'orchestre"! La première multiplication consiste pour chaque chromosome à se dédoubler c'est-à-dire à faire une copie de lui-même en se divisant en deux dans le sens de la longueur, exactement comme une fermeture éclair peut se scinder en deux brins. La qualité de la copie est telle que, même un expert ne saurait dire lequel est l'original et lequel est la copie. Chaque chromosome retrouve ainsi un nouveau partenaire et la "piste" comporte maintenant 23 couples d'un coté et 23 couples de l'autre.

Je tire entre les deux groupes un rideau qui sépare la "piste" en deux. La danse peut recommencer. Au bout de 48 heures environ, nouveau coup de balai: nouvelle séparation des partenaires en deux groupes; puis je tire cette fois le rideau perpendiculairement au premier ce qui aboutit à la formation de quatre "pistes" que nous appellerons maintenant des cellules. Dans chaque cellule la réplication recommence; et la danse continue. Au terme de quatre jours j'aurai ainsi constitué 32 cellules. De division en division, les cellules commencent à devenir trop petites et il va bientôt falloir lire le code pour savoir ce qu'il convient de faire pour poursuivre la division.


L'embryon humain au stade 4 cellules, puis 8 cellules, puis 16 cellules, vu au microscope électronique à balayage. Trois photos à mettre avant toutes les autres dans l'album de naissance.

Tout en poursuivant ses divisions successives, l'œuf progresse vers l'utérus qu'il atteindra vers le huitième jour. Il s'y sentira bien, comme un oisillon dans son nid douillet.

A ce stade, un minimum d'organisation s'impose car sinon cela risque de devenir l'anarchie. L'organisation consiste à attribuer à chaque groupe une fonction précise. Tandis qu'un groupe va continuer à se dupliquer pour former un organe qui bientôt ressemblera à un cœur, un autre prendra la forme (et la fonction) d'un foie, un autre poursuivra sa destinée, qui en un rein, qui en fémur, qui en œil...

Deux groupes vont particulièrement se distinguer, l'un en formant un "tissu liquide" qui sera le sang et un autre fera de "l'esprit" en se constituant en réseau, se faufilant entre tous les groupes: Il sera le système nerveux et fera circuler l'information: des centres de décision vers les cellules et des cellules vers les centres et les organes.

On peut déjà remarquer que chaque groupe, dans l'exercice de ses fonctions, ne travaille pas pour lui tout seul, pour son bien personnel (comme cela se passe souvent dans la société des hommes). Chacun travaille pour moi qui suis le "tout", afin d'assurer mon équilibre et la continuation de la vie: Chacun travaille pour ma survie. Et moi, étant le tout, je fais en sorte que le foie aie suffisamment de vivres et d'énergie pour lui-même et pour assurer les fonctions qu'il a en charge. J'agis de même avec le cœur, le sang ou les muscles. Aucun organe n'est privilégié et chacun reçoit suivant ses besoins. Oh! bien sûr il arrive qu'il y ait pénurie de vivres ou d'énergie; cela fait partie des aléas de la grossesse que je gère de mon mieux. Ma mère nourricière aussi d'ailleurs !

Il me faudra neuf mois environ pour que je sois enfin capable d'affronter la vie de façon autonome et m'affranchir de cette mère nourricière; une fois coupé alors le cordon, je naîtrai à l'air libre avec un cri; cri de victoire ...et d'angoisse à la fois.

Mais avant d'entrer dans ce nouveau monde revenons un instant sur ces fameux chromosomes qui constituent en quelque sorte le livre de notre vie.

 

Les chromosomes

Que sont les chromosomes?

D'un point de vue global, général, les chromosomes constituent le support de toutes les informations acquises par les premières cellules vivantes, informations accumulées depuis le début de l'Univers pour parvenir jusqu'à nous, la mémoire du temps écoulé depuis nos plus lointaines origines.

Les informations sont enregistrées sous forme de codes dans les gènes, éléments constitutifs des chromosomes de nos cellules. Ces codes dictent à nos cellules leur mode de fonctionnement: Chaque gène (parfois plusieurs gènes ensemble) commande la fabrication d'une ou de plusieurs protéines. Les protéines interviennent à leur tour, non seulement dans la construction de notre corps proprement dit, mais aussi dans le fonctionnement tout entier de ce corps. Elles sont responsables de beaucoup de nos comportements, de notre adaptation au milieu, à notre environnement, qui lui aussi, évolue en même temps que nous.

En procréant, nous transmettons à notre descendance la totalité des informations dont nous avons nous-mêmes hérité dans la longue lignée de nos ancêtres (notre phylum comme disent les savants); et cela depuis bien plus loin qu'Adam et Eve, les "stars" du roman de la bible. Les informations contenues dans ce patrimoine chromosomique sont parfois modifiées par des erreurs qui se produisent au cours des "copies" successives. Certaines erreurs sont sans conséquence sur le cours de notre descendance. D'autres erreurs sont néfastes car elles entraînent une inadaptation à certains paramètres de notre environnement et il arrive par exemple que nous soyons moins résistants que nos concitoyens à certaines maladies. Ainsi disparaissent certaines lignées qui sont mal programmées pour résister aux dures lois du milieu. Ce sont les maladies génétiques. A l'inverse, certaines de ces erreurs conduisent à une meilleure résistance, ou fournissent les "recettes" pour résister encore mieux que les autres aux agressions (sécheresse, pénurie alimentaire, compétition...). Nous assistons alors à l'émergence et à la domination d'une lignée résistante, bien adaptée aux conditions du milieu.

Ce sont ces jeux du hasard qui sont à la base de l'évolution des êtres vivants: Les plus adaptés poursuivent la vie et le cours de l'évolution, tandis que les moins résistants finissent par céder le pas et disparaître. C'est cela que l'on appelle la sélection naturelle. Ce sont les milliards de combinaisons possibles des informations contenues dans les chromosomes, et les erreurs possibles au cours de leur duplication, qui sont responsables de l'évolution de notre lignée. Notre génome est ainsi la mémoire de notre passé accumulé, en même temps qu'il est le "gestionnaire" de notre futur.

D'un point de vue biochimique, chaque cellule du corps humain possède un noyau qui renferme 46 chromosomes. La moitié de ces chromosomes est issue du patrimoine génétique paternel, et l'autre moitié du patrimoine génétique maternel. Au sein du noyau cellulaire ces chromosomes homologues s'assemblent deux par deux constituant ainsi 23 paires de chromosomes. Il est, en effet, préférable de parler de paires, car pour s'exprimer, un caractère génétique a besoin de la conjugaison des codes portés par des gènes présents à la fois sur le chromosome paternel et son homologue maternel (on parle d'allèles).

Un chromosome est constitué d'une longue chaîne d'ADN toute entortillée sur elle-même.

La double hélice d'ADN est à la base de la construction des chromosomes. Une portion de cette double hélice (une séquence) contient une suite de combinaisons A-T et G-C. A chaque séquence correspond un code. L'ensemble de ces codes représente le patrimoine génétique: le génome d'un individu.

Si l'on déroulait tout l'ADN contenu dans un noyau cellulaire il mesurerait environ un mètre de longueur. Complètement déroulée et agrandie, la double hélice constituée par l'ADN d'un seul chromosome ressemblerait à une longue échelle comportant plusieurs dizaines de millions de barreaux. Chacun des barreaux est constitué d'un demi barreau à gauche et d'un demi barreau à droite, assemblés au milieu par une sorte de point de colle (en réalité, une liaison chimique). Cette liaison maintient la cohésion de l'échelle, mais peut se "dissoudre" au moment de la division cellulaire, permettant aux deux branches de l'échelle de se séparer, à la manière d'une fermeture éclair que l'on ouvrirait.

La cellule fabrique (synthétise) alors pour chaque branche de l'échelle une branche homologue, complémentaire, aboutissant à deux échelles (filles) à partir d'une seule (mère) en copiant les caractéristiques des branches initiales. De nouveaux points de colle assemblent la demi branche mère avec la demi branche fille copiée et synthétisée. Et voilà la cellule avec deux fois 43 échelles complètes. Pas pour longtemps car le cytoplasme de la cellule elle-même, se divise à son tour, créant ainsi deux cellules filles.

A l'intérieur de chacune des cellules filles se reconstitue un noyau avec ses 23 échelles (23 paires de chromosomes), identiques à celles de la cellule mère.

Mais revenons à nos barreaux. Chaque demi barreau est, en terme de chimie, une base nucléique, insérée dans un montant composé par l'empilement répété d'un sucre et d'un phosphate. L'assemblage d'un demi barreau (base) avec son sucre et son phosphate se nomme nucléotide. Il y a quatre demi barreaux différents: l'un est une base de guanine (G), un autre de cytosine (C) , un troisième d'adénine (A) et un quatrième de thymine (T). Ces bases ne s'assemblent pas n'importe comment : la guanine ne s'assemble qu'avec son complémentaire qui est la cytosine (G-C) et l'adénine ne s'assemble qu'avec la thymine (A-T). Par contre, deux ou trois barreaux identiques peuvent se succéder sur l'échelle, et même changer de sens (T-A au lieu de A-T et C-G au lieu de G-C). Une succession (variable d'un gène à l'autre) de quelques milliers de barreaux constitue une séquence génétique qui délimite un gène. Nos 23 paires de chromosomes sont ainsi le support d'environ trente à quarante mille gènes.

Des erreurs de copie vont générer de la diversité.

C'est la succession des bases dans un ordre donné qui constitue un message héréditaire, exactement comme la succession des lettres constitue les mots d'une phrase. Il est maintenant facile de comprendre que le changement, l'absence, ou l'altération d'une seule base entraîne le changement de sens du message délivré par la séquence entière - donc par le gène - comme le changement, l'absence, ou l'altération d'une seule lettre sur un clavier, peut changer le sens d'un mot tapé sur ce clavier.

Prenons l'exemple simple de la phrase suivante tapée sur un clavier: "Il inspecta la grotte avec beaucoup de minutie". Puis transformons, sur le clavier, la lettre "g" en un "c" (le clavier comporte maintenant deux "c", mais plus de "g"). Si nous essayons de réécrire la phrase ci-dessus elle devient : "Il inspecta la crotte avec beaucoup de minutie" ! le sens de la phrase tout entière est évidemment changé.

La succession des lettres du clavier correspond à la succession des bases nucléiques le long de la molécule d'ADN; aux touches du clavier correspondent les lettres écrites à l'écran (ou sur papier); aux gènes de l'ADN correspondent des protéines. L'altération d'un gène entraîne la non fabrication de la protéine correspondante, entraînant une anomalie éventuelle dans le fonctionnement cellulaire.

Mais cette altération peut aussi bien "coder" pour la fabrication d'une protéine inhabituelle ! Quel sera le rôle joué par cette nouvelle protéine ? Mystère tant qu'elle ne s'est pas exprimée. Elle peut n'avoir aucune conséquence, avoir une conséquence négative, ou une conséquence positive. A l'altération d'un gène correspond, en tout cas, une mutation qui peut, dans l'hypothèse négative, être la cause d'une anomalie se traduisant parfois en maladie. On parle alors de maladie génétique. Mais elle peut aussi, dans l'hypothèse positive - et c'est le hasard qui le dira -, conférer au mutant une meilleure résistance à telle ou telle condition de milieu: c'est alors une mutation bénéfique. La mutation est à la base de l'Evolution que nous avons définie plus haut.

Les gènes sont donc porteurs de codes qui correspondent à la fois à des ordres et à des matrices (des modèles) pour la synthèse des protéines, constituants essentiels de nos cellules. La construction de notre corps depuis le tout début de la gestation jusqu'à notre mort, sont sous la dépendance de ces codes génétiques, de même que certaines caractéristiques comme la couleur des yeux, la taille du nez, le groupe sanguin … et bien d'autres attributs.

Pratiquement toutes les cellules vivantes qui possèdent un noyau renfermant des chromosomes fonctionnent comme les cellules humaines: la fabrication de leurs protéines est gouvernée par des gènes correspondants. Cela explique que la recherche en microbiologie végétale et animale soit utile pour comprendre le rôle des gènes humains: Dans la cellule humaine comme dans une cellule de drosophile (mouche du vinaigre) ou dans une cellule de plante, ou encore dans une bactérie (comme Escherichia Coli) un gène identique permettra de produire une protéine identique.

Cela explique aussi que l'on puisse faire produire à une vache, un lait contenant certains agents utilisés en médecine humaine comme médicaments. Il suffit pour cela de "découper" un gène responsable de la production de telle protéine et de l'insérer à la bonne place, dans le patrimoine génétique de la vache. C'est ce qu'on appelle une manipulation génétique.

Où en est-on aujourd'hui de la connaissance du génome ?

La deuxième moitié du XXè siècle aura été le temps des biotechnologies, et plus particulièrement le temps où le commun des mortels aura investi beaucoup d'espoir dans les recherches sur le génome humain. La médiatisation des maladies génétiques, notamment à travers le "généthon", a contribué à associer l'idée de progrès en matière génétique à l'idée d'avancée contre les maladies, et donc de recul de la mort.

L'espoir aura connu son paroxysme avec le sprint final pour la publication, en juin 2000, de la fin du séquençage du génome humain, par la communauté scientifique mondiale (Programme Génome Humain) d'une part, et par une firme privée américaine d'autre part. Chacun s'attendait à ce que cette opération révélât enfin les secrets de l'ADN et des gènes.

C'était sans compter que le livre de la vie, même écrit en lignes, nécessite aussi que l'on sache lire entre les lignes afin d'accéder aux secrets qui y demeurent cryptés. On se rend compte aujourd'hui que si nous disposons bien d'un livre entièrement écrit avec les quatre lettres A, C, T et G, personne n'est encore capable de traduire les mots codés en mots intelligibles dans notre langue. Les mots codés sont les séquences génétiques censées correspondre aux gènes et les mots traduits sont des protéines, celles-là même qui construisent notre corps, mais celles-là aussi qui peuvent construire les maladies...

Et c'est surtout là le terrain sur lequel se place l'espoir. Du génome à la molécule qui guérit il reste encore un long chemin qui, lorsqu'on le prend à son début, engendre l'espoir mais qui, lorsqu'on ne parvient pas à en voir le bout, engendre aussi la déception. La première déception a été de ne trouver que 30 000 gènes là où on en attendait quatre fois plus pour expliquer la complexité de l'Homme comparée à celle d'une mouche qui en possède déjà 15 000.

Cette méchante comparaison, si elle était prise au pied de la lettre et au premier degré, reviendrait à dire que l'Homme, même avec son H majuscule, ne vaudrait pas plus que deux mouches! La seconde a été de ne pouvoir accéder directement et rapidement aux causes des maladies génétiques, sans passer par une transcription nécessaire entre code génétique et protéines impliquées. Or, on dénombre plus d'un million de protéines dans le corps humain pour seulement 30 000 gènes; voilà qui met à mal l'idée simple qui, à un gène aurait aimé associer une protéine, et une seule, donc à une action ciblée sur un gène aurait associé une réponse, et une seule, de la protéine.

Cette disproportion entre gènes et protéines correspondantes semble au contraire indiquer que chaque gène, au lieu de coder pour une seule protéine, code (ou participe au codage) pour une trentaine de protéines différentes, en moyenne! ce qui est de nature à compliquer singulièrement l'action ciblée sur un gène pour enrayer une maladie, sans perturber les autres protéines induites ou contrôlées par ce même gène.

La troisième déception touche directement le monde scientifique qui avait (peut-être un peu hâtivement?) considéré qu'une grande partie (90% !) de l'ADN constituant le chromosome n'avait aucune signification génétique et l'avait, de ce fait, baptisé " ADN poubelle ". Il se pourrait qu'il faille aujourd'hui fouiller dans les poubelles pour trouver ce qui manque au génome afin d'être pleinement signifiant. En tout cas, la molécule de la vie n'a pas encore fini de livrer ses secrets!

Considérations sur la vie

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