Changer de bocal

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Changer la société

Edito

Par Anicet Le Marre
20.10.2021

Le traitre et le néant

 

"Le traître et le néant" est le pavé de plus de 600 pages que viennent de publier Gérard Davet et Fabrice Lhomme (journalistes d'investigation et grands reporters au journal Le Monde) sur le président Macron: sa personnalité, sa gouvernance. Le titre du livre résume et concentre les témoignages enregistrés d'une centaine d'interlocuteurs essentiellement issus du "deuxième cercle" autour de Macron, dont François Hollande.

LE TRAITRE

Traître à François Hollande : E. Macron avait soutenu Hollande lors de la primaire présidentielle socialiste de 2011. Le 26 août 2014, Hollande le nomme ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique dans le gouvernement Valls II en remplacement d'Arnaud Montebourg. Pourtant, tout en donnant l'apparence de la loyauté envers le président de la République, Macron prend régulièrement ses distances avec celui-ci. C'est ainsi que, le 6 avril 2016, à Amiens, il fonde le parti à ses initiales En Marche. Le 30 août 2016, il démissionne de ses fonctions de ministre pour se consacrer à En Marche. On connait la suite.

Traître aux électeurs de gauche : Après avoir "milité (??)" au Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement et voté pour lui aux présidentielles de 2002, Emmanuel Macron est membre du PS de 2006 à 2009, à jour de cotisation. Pendant la campagne 2017 et après son élection il se disait "et de droite et de gauche". Or aujourd'hui la politique qu'il mène est clairement libérale et de droite. Un certain membre de son gouvernement trouve même que Marine Le Pen est trop molle...

Traître à Bayrou et au MoDem à qui la macronie avait promis de disposer de 144 circonscriptions aux législatives de 2017. On lui en a laissé seulement 16 !

Traître à ses promesses de campagne :

  • Le candidat Macron avait promis une réforme de la fiscalité du capital qui se ferait à coût nul. La réforme de la taxation du capital a bien été faite: l'ISF (impôt sur la fortune) a été remplacée par l'IFI (qui ne touche plus que l'immobilier), ce qui a permis de faire de nouveaux cadeaux par exonération aux très riches... mais en coûtant 4,5 milliards d’euros... à payer par le citoyen.
  • L'usage des pesticides, et en premier lieu du glyphosate, devait être réduit de moitié en dix ans... La sortie du glyphosate ne sera même pas inscrite dans le projet de Loi Alimentation, loi qui sera promulguée en 2018.
  • Moralisation de la politique : le candidat Macron avait promis un nouveau monde administré par un gouvernement exemplaire et vertueux : On se souvient pourtant de l'affaire Benalla, et peut-être des ministres éphémères Ferrand, de Sarnez, Goulard, Bayrou, Flessel, Travert, Gény-Stéphann, Griveaux, de Rugy, Delevoye… tous obligés de démissionner pour fautes diverses, et encore d'Alain Griset, ministre délégué aux PME, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, et surtout d'Eric Dupond-Moretti mis en examen pour conflit d'intérêts mais toujours en poste au ministère de la justice…
  • Le candidat Macron avait encore promis d'empêcher les personnes ayant un casier judiciaire de se présenter à une élection: promesse non tenue.
  • Il avait aussi promis de rendre des comptes, une fois par an, au Congrès (Assemblée Nationale + Sénat). Cette promesse n'a été tenue qu'une seule fois, le 9 juillet 2018 à Versailles. Depuis, nous voila revenus à la monarchie présidentielle.

LE NEANT

Macron est un "produit hors sol" et sans référence puisqu'il n'a jamais été élu au moindre scrutin local. Il n'a aucune expérience des relations avec le citoyen ni des réalités de ses conditions d'existence.

Il y a un halo permanent qui entoure Macron et le macronisme. En se proclamant tantôt NI de gauche NI de droite, tantôt ET de gauche ET de droite, il cultive son handicap vis-à-vis de ses éventuels futurs électeurs qui n'arrivent pas à le cerner.

Souvent identifié à Jupiter, Macron est vu comme un monarque : c'est lui qui parle, qui fait les "bonnes" annonces, qui dicte... et c'est le gouvernement qui doit mettre en pratique. Et si ça marche ainsi c'est parce que les macronistes sont des godillots.

Le néant c'est aussi celui de l'existence de l'Assemblée Nationale puisque la majorité des députés sont de la macronie et que la plupart étaient totalement inexpérimentés en 2017. Cela a été particulièrement clair pour toutes les décisions prises pendant la crise du Covid. Les décisions sont prises par un Conseil de Défense et par un Haut Conseil de la Santé Publique(*), l'Assemblée Nationale étant cantonnée à une chambre d'enregistrement.
(*) Je n'ai pas le souvenir que ces conseils aient été élus par le peuple!

Tout ce néant est créé par Macron lui-même qui ne veut pas autour de lui des gens qui lui fassent de l'ombre. Cette caractéristique fait du personnage un homme seul et explique pourquoi il ne supporte pas les syndicats, les medias, la justice… bref, tous les contre-pouvoirs potentiels.

Macron est tel un caméléon : Tantôt il incarne l'élite et les riches, tantôt il devient une sorte de populiste mondain. Après avoir fustigé les "gaulois réfractaires" il s'inclut lui-même aujourd'hui dans ces "gaulois réfractaires". "Il a un truc un peu Madonna, un peu Lady Di, vous voyez ?" a dit de lui Marlène Schiappa dans un entretien récent à l'Express.

Si Emmanuel Macron jouit actuellement d'une assez forte popularité, attribuable à la plutôt bonne tournure de la crise sanitaire, il est aussi l'objet d'une grande détestation dans une autre partie de l'opinion.
Le peuple ressent beaucoup plus son mépris que la clarté de sa stratégie politique
en vue des prochaines présidentielles. Il s'est évertué à fabriquer l'épouvantail Le Pen pour semer la zizanie à droite et pour pouvoir dire qu'il est le seul rempart contre le chaos. Cependant il n'a jamais réussi dans cette entreprise puisqu'au contraire, pendant tout le quinquennat le RN a perdu, de lui-même, beaucoup de terrain dans tous les scrutins.
Par ailleurs, il n'avait pas prévu l'irruption d'un Zemmour, lequel adopte, comme lui en 2016, la même stratégie, basée bien plus sur l'effet de surprise et la suggestion d'une alternative providentielle soutenue par un discours intellectuel et populiste, que sur un programme lisible et tangible.

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  • Les auteurs Davet & Lhomme avaient déjà publié "Sarko m'a tuer" avant la présidentielle de 2012. Sarkozy avait été battu.
  • Ils avaient publié "Un président ne devrait pas dire ça" avant les présidentielles de 2017. Hollande n'a pas osé être candidat.
  • "Le traître et le néant" publié avant les présidentielles de 2022 aura-t-il le même effet dévastateur sur le président Macron ?

Macron a tellement réussi à fracturer les partis politiques de droite comme de gauche, que les gens ont aujourdh'ui perdu tout repère politique. Sans repères de valeurs, leur déception se manifestera de plus en plus par l'abstention.

Et la légitimité des futurs élus politiques continuera de tendre vers zéro.

Le Traitre et le néant,
G. Davet & F. Lhomme
Ed. Fayard. 24,50 €