Changer de bocal

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Changer la société

 

Edito

Par Anicet Le Marre

02.10.2021

 

Passe sanitaire ou passe-droits?

 

En premier lieu, ne pas confondre anti vaccin et anti passe

Pour l'heure, la vaccination anti covid a montré son efficacité (sans pour autant, et à ce jour, faire la preuve de son inocuité à long terme). La vaccination est un acte thérapeutique présentant un rapport bénéfice/risque à priori positif.
Officiellement, la vaccination, fortement recommandée par les autorités, n'est pas obligatoire. Il convient donc de ne pas prendre une position
anti-vax, radicalement opposée à toute vaccination, et de laisser ceux qui le souhaitent se faire librement vacciner. Mais cette attitude de respect d'autrui a une contrepartie: celle de respecter toute personne qui, à titre individuel, ne le souhaite pas et qui, dans son comportement ne met pas la vie des autres en danger.

Le pass sanitaire est, quant à lui, une mesure de police administrative. A ce titre il est donc avant tout une mesure privative de liberté. En second lieu il rend, de fait, la vaccination obligatoire alors que, dans le discours politique elle ne l'est pas! C'est ce qui rend son opportunité très discutable, contestable, et à certains égards méprisable.

Les deux choses n'ayant rien à voir, on peut donc être anti-pass sans être anti-vax !

La contagiosité du virus dépendrait-elle du lieu ?

C'est une question que l'on se pose puisque le pass sanitaire, censé réduire la nuisance du virus, est obligatoire pour accéder

  • aux hôpitaux, maisons de retraites, établissements médicosociaux,
  • aux lieux de loisirs et de culture : spectacles, parcs d'attraction, concerts, festivals,
  • aux séminaires, salons professionnels,
  • aux avions, trains et cars pour les longs trajets,
  • aux cafés, restaurants,
  • aux activités associatives...

Mais pas pour accéder

  • aux écoles,
  • aux commerces et grandes surfaces,
  • aux bus municipaux, tramways, métros, TER et RER,
  • aux réunions des conseils municipaux ni aux réunions publiques extramunicipales,
  • aux églises, mosquées et autres lieux de culte...

Ainsi, une personne peut prendre le métro pour aller faire ses courses au supermarché sans avoir à justifier de sa situation sanitaire, mais devra présenter le sésame, en soirée, pour être acceptée au cinéma ou au restaurant.

Des personnes civiles sont automatiquement investies du pouvoir de police.

Par application de l'article 2-3 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, les responsables des lieux, établissements et les organisateurs d'événements ont obligation de vérifier la situation sanitaire des particuliers clients. De nombreux responsables contestent cette obligation (et souvent refusent) d'endosser ce rôle de police et la responsabilité qui y est liée.

Discrimination et marginalisation:

Selon Serge Slama, professeur de droit public à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste des droits fondamentaux "Il est établi qu’on se vaccine moins dans certains territoires français, dans certaines banlieues ou dans certaines catégories de la population plus défavorisées. Donc il y a un risque de marginalisation d’une partie de la population qui se retrouverait privée d’activités collectives du quotidien. Est-ce qu’on va accepter que, dans la durée, une partie de la population qui refuse de se faire vacciner soit mise au ban de la société ?"

Le Conseil d’Etat, dans son avis du 19.07.2021, va dans le même sens en reconnaissant qu’une telle mesure [le pass sanitaire, ndlr], "en particulier lorsqu’elle porte sur des activités de la vie quotidienne", est susceptible de porter une atteinte "particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale".

La défenseure des droits elle-même craint que les personnes en situation de pauvreté pourraient être doublement victimes et fait remarquer que "La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Les mesures envisagées de prolongation du pass sanitaire comportent ainsi le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités."

De son côté, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) déplore que dans le domaine si précieux de la protection de la vie, le gouvernement ait adopté la voie d’un autoritarisme qui est devenue sa marque de fabrique.

Un "En même temps" cacophonique... mais habituel !

Le 29 avril 2020, devant la presse quotidienne régionale, le Président de la République avait affirmé que "le pass sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis".
Le 11 juin 2020, devant le Sénat, Olivier Véran affirmait son "opposition de principe à l’usage d’un pass sanitaire pour des activités de la vie courante telle que manger au restaurant".

Aujourd'hui, l'exécutif a pourtant, non seulement généralisé le pass sanitaire, mais veut le prolonger au delà du 15 novembre alors que, d'un autre côté, il parle d'alléger les contraintes dans les départements à faible circulation virale. Ainsi, le 16 septembre 2021 aux Rencontres de l'Union des entreprises de proximité, Emmanuel Macron s'est dit prêt à "lever son obligation [du pass sanitaire, ndlr] là où le nouveau coronavirus ne circule quasiment plus".

Un provisoire prévu pour durer ?

Dans une audition par la commission des lois du Sénat, le 21 juillet 2021, la présidente de la CNIL estimait qu'"Il y a un risque certain d’accoutumance à de tels dispositifs de contrôle numérique, de banalisation de gestes attentatoires à la vie privée, de glissement, à l’avenir et potentiellement pour d’autres considérations que la seule protection de la santé publique ici recherchée dans un contexte exceptionnel, vers une société où de tels contrôles seraient la norme et non l’exception".

Les bibliothécaires se rebiffent

Le 1er octobre 2021, les bibliothécaires ont entamé une grève nationale contre le pass sanitaire, aux motifs que

  • le pass sanitaire est contraire à la déontologie des bibliothèques qui dépendent des collectivités et qui doivent être et rester ouvertes à TOUS,
  • il abime un lien social en éloignant les personnes déjà fragilisées.
  • les bibliothécaires ne sont pas là pour juger des choix des uns et des autres,
  • alors que, dans le même temps, on peut toujours aller dans les supermarchés et dans les centres culturels sans passe sanitaire.